La semaine dernière, nous étions tous restés quelque peu circonspects quant à la réalité de la blessure à la cheville d’Etienne. Moi-même expert en hypocondrie, j’avais détecté une forme de simulation dont la lâcheté m’échappait. Comment un compétiteur comme lui pouvait abandonner son équipe en pleine débâcle ? Dans un murmure honteux, l’ailier avait finalement avoué « Je me réserve pour le match contre les Vieux Crampons ». Mais pourquoi ? Parce que c’était son anniversaire !!! Or le talentueux rugbyman avait vu les choses en grand afin que cette soirée soit une cérémonie à sa gloire, l’apothéose jupitérienne de sa grandeur. Pour cela, il avait affrété un autocar pour faire venir sa famille, ses proches et quelques voisins agriculteurs du Loir et Cher. Ses parents, ses frères et sœurs, ses amis de maternelle, ses collègues de bureau et même Julie qui avait réussi à quitter son kiosque de l’île aux enfants, tous avaient répondu présent. Mieux encore : un jet privé qu’il avait réservé ramena de Chine Tata Christiane, tenancière d’un bordel à Pingyiao, ville fortifiée au sud du Tonkin, et un autre couteux Falcon rapatria Tonton Chauvin, vendeur de rond-points à Tunis et dealer d’insuline à Rueil (ou l’inverse). Et que dire de Mamie Barquisse et PapyChou ? Etienne avait dû insister pour que les deux nonagénaires viennent malgré leur santé précaire. Déposés par un hélicoptère d’Europe-assistance, le vieux couple dopé aux pastilles drill et à l’ultra-levure, installé sur des pneus vint admirer le cador de la famille. Bref, Etienne avait fait venir une quarantaine d’admirateurs alors que les VDQS étaient à peine…10 ! Heureusement, Jérôme avait eu la bonne idée de convaincre son pote Alexandre de venir tâter du cuir avec nous.
Durant l’échauffement, Marou fit son apparition et participa aux exercices de mise en condition bien que vêtu pour la ville. Etrange me direz-vous ? Oui, surtout que ce dernier ne cessait de répéter : « Ne vous faites pas mal les gars, c’est du vétéran, y’a pas de championnat ! ». Nous sûmes par la suite que ce dernier déménageait le lendemain et qu’il comptait sur les plus gros pour charrier une nouvelle fois tout son bordel contre quelques tomates cerise et une bière tiède. Triste comportement !
Les Vieux Crampons de Versailles dont la rudesse, la jeunesse et la vélocité étaient dans toutes les mémoires, arrivèrent à près d’une vingtaine malgré les congés divers. Nous faisions pâle figure avec notre infirmerie pleine, nos commerciaux tous en provinces, nos alcooliques au festival « Yvette Horner » de chansons zoophiles d’Argelès, nos mariages pour tous au Leroy Merlin du Cap Ferret, nos priapiques en Bretagne et nos migrants en voies d’expulsion. Une fois de plus Manu sorti son plan de jeu qu’il avait élaboré durant six mois sachant ce match difficile. Lorsqu’il le présenta à Thibaut, ce dernier lui fit remarquer qu’il avait prévu 25 joueurs et que le compte n’y était pas. Loin de paniquer le coach partit faire son marché chez les Séniors en train de jouer à touche pipi sur le terrain d’à côté. Maxime en 6, Rafik en 1, Cyril au Centre et Jean-Marie à l’arrière, 15 joueurs, le match pouvait commencer sous la tulliste houlette de Fred.
Soudain j’entendis la foule acquise à la cause rueilloise scander « Dulcolax, Dulcolax… ». De quoi s’agissait-il ? Le N+1 d’Etienne, invité intelligemment par ce dernier en vue d’une future augmentation, me donna l’explication « C’est l’affectueux sobriquet d’Etienne ! Il est Cash Manager dans ma Banque, il gère les flux des clients, libère des liquidités et comme il s’appelle Popot…CQFD ! ». Et dire que depuis plusieurs années on lui cherchait un surnom…
Thibaut, tel Linda de Souza, gagna le TOS et choisit le coup d’envoi et c’est à 20h52 que débuta le match. Pas de tour d’observation : l’engagement était total de part et d’autre. La fougue VDQS semblait cependant prendre le dessus et les vaillants VDQS occupaient le terrain adverse. L’essai chauffait mais se faisait refroidir à l’approche de l’embut versaillais. Ainsi l’arbitrage de Fred, qui arrêta à deux reprises l’avancée de notre équipe par des pénalités sur les 22 adverses, fit sortir de ses gonds Tata Christiane « Toi trop fumer opium, toi enculé ! » Oui, bien que française de souche, la vieille dame qui vit en Chine a un très fort accent asiatique. « Si moi attraper toi l’arbitre, moi laquer ta bite et tatouer sur testicules Made in China ! ». La vieille était énervée et Mamie Barquisse tenta de la calmer « ça sert à rien de crier, y’a pas plus sourd qu’un pilote de Harley ! » . « Pilote, mon cul ! comme le dire Confucius, Qui croit sa Harley pouvoir démarrer le matin, digne de confiance n’est pas le soir ! ». La suite du jeu n’allait hélas pas calmer la volubile proxénète. La charnière Gauthier-Kaya alternait intérieur et ouverture, mais à trois reprises des attaques somptueuses se concluaient par des en-avant à 30 m, côté gauche, sous les yeux des supporters de Dulcolax, privé in-extrémis de ballon. Mais l’obstination finit par payer. Alors qu’une mêlée profita aux Vieux Crampons, ces derniers retournèrent dans leurs 22 pour botter en touche. Le petit Eloi, un des 7 nains de Blanche Neige, lui aussi invité au Dulcolax-Day, se fit déjuger, que dire, sermonné par l’Arbitre : « Et tu ne refais jamais ça, petit merdeux ! » lui lança-t-il. « EUH…c’est mon fils… » signala PH en levant le doigt timidement. Fred réalisant que Blanche Neige ne lui avait pas encore remis son coupe-vent VDQS, il changea aussitôt de ton : « C’est pas grave mon petit, je te pardonne ! ». Moralité, pour influencer un mec de Tulle, rien de mieux qu’un KWAY ! Mais revenons à nos moutons. Sur cette touche adroitement déviée, l’attaque se traduisit par une fixation de Thibaut, un ruck puis un départ lancé au ras d’Olivier Albert qui perça avant de redonner le ballon à Kaya qui perfora à son tour la défense avant d’aplatir entre les poteaux ; 21h09 !
C’est à peu près à cet instant que l’espoir se raffermit. A 3 minutes de la pause, une silhouette robuste mais élégante surmontée d’un casque rouge nous apparut. Serait-ce Half Pennie ? Non, c’est Mark Owen, notre impact-buveur ! Aussitôt arrivé au niveau du public, Tata Christiane se jeta sur lui « Oh ! Marko Polo ! Toi mon anglais préféré ! ». L’international britannique se réjouit de retrouver cette intime : « AHHHHH ! Kao Tong-bling ! Que fais-tu là ? ». De toute évidence les deux se connaissaient bien. Mark avait en effet réalisé en 1995 un « Enquête exclusive » avec Bernard de La Villardière pour M6 intitulé « L’enfer de la prostitution en Chine » durant lequel le journaliste avait (contre son gré) joué au client lambda avec une caméra cachée. Kao Tong-Bling qui veut dire en mandarin « Balance Teraillon Cassée » lui avait ouvert les portes de son établissement et autorisé toutes les interviews qu’il souhaitait auprès d’hôtesses plus « Délicious » les unes que les autres. Ce documentaire valut à Mark Owen le Prix Albert Londres qui lança sa carrière et une blennorragie qui mit fin à sa vie sexuelle. Bref, il était là et Manu s’impatientait de le voir prendre place dans l’équipe.
A la pause Manu décida donc de le faire rentrer à la place de….Dulcolax ! Quelle indélicatesse ! Quelle infamie ! Le jour de son anniversaire, le coach le fait sortir !!! Dulco, était fou de rage : « Mais putain, j’ai pas touché un ballon encore ! » s’exclama-t-il ! Très vite l’ardeur de l’ailier baissa d’intensité : avec seulement deux remplaçants, il ne tarderait pas à revenir sur le terrain. En plus, nul dans son public ne se rendit compte de son absence, l’attention totalement captée par l’intensité du match qui reprit à 21h17.
Après le renvoi du premier essai mal réceptionné par Dupont-Moretti (O.Estrade) qui a toujours du mal à s’acquitter de cette tâche, la réception du coup de pied d’engagement fut tout aussi merdique. Toutefois les VDQS toujours sur la même dynamique dominèrent de nouveau la partie : mauls conquérants, arrachages de ballon, grattages, plaquages, ils récitaient leur rugby avec brio. A peine après 2 minutes de jeu, à 21h19, Olivier Albert saisit le ballon sur un ruck, transperça au ras, embarqua plusieurs défenseurs et nous gratifia une splendide passe Offload à destination de Maxime qui termina de s’arracher pour marquer entre les poteaux. 2-0.
La pression maintenue, les VDQS revinrent de nouveau dans les 22 où le déblayage efficace de Maxime commença à animer les échanges verbaux. Un VDQS faisant néanmoins un en avant en tentant de sortir la balle du Ruck (Tic ou Gauthier ?), les Vieux Crampons réussirent à se dégager.
A 21h26, Charlakachvili nous offrit un de ces cavaliers seuls dont il a le secret. Petit A Parte : Charles fut surnommé ainsi par Fred Lavergne qui lui reprochait d’évoluer à 4 pattes dans les rucks comme un géorgien. Bref, sur cette percée, Charlakachvili eut l’heureuse idée cette semaine de chercher un partenaire à qui donner sa balle. En grande forme ce soir là, Olivier Albert était au soutien, récupéra le ballon et comme sur le deuxième essai embarqua du monde avant d’offrir une splendide et propre passe à Jérôme…qui fit un en avant à 10 m de l’embut. Déjà, quelques minutes avant, sur une voiture de 30 m de son pote Alexandre, Jérôme n’avait su maitriser le ballon, se défaussant de la faute en incriminant la passe de son partenaire. Mais là, aucune excuse ! Ça sentit très fort le Fez malgré les efforts continus de Thibaut pour botter en touche comme un cul de jatte au point de nous faire regretter Renato à ce poste. Déjà Jérôme espérait qu’Olivier nous gratifia d’un de ses coups de pied dans la boite, cette originalité inspirée de Sergio Parisse, que notre fougueux n° 8 nous offre à chaque rencontre. « Faites rentrer Dulcolax ! » scanda alors la foule impatiente de voir enfin leur héros balle en main. Manu céda à la pression du Kop Popot et Etienne revint donc sur le pré bien décidé à exposer son agilité manuelle si supérieure à celle de Jérôme !
Le troisième tiers temps débuta à 21h40 et déjà on envisageait qu’il soit amputé de quelques minutes. Et bien nous en a pris car Les VDQS baissèrent en régime. Les Vieux Crampons en profitèrent pour faire parler la poudre avec des débordements où Guillaume dut se sacrifier et où dixit Mark Owen dans le texte « Je me suis fait bouleversé ! » (décidément, le Français et l’Anglais sont toujours des faux amis). Les Charges de Rafik, Olivier, Charly, Maxime ou Jérôme étaient à présent anticipées et contenues. Malgré les nombreux plaquages souvent offensifs, les Vieux Crampons finirent par envoyer leur ailier à l’essai. 2-1. Les esprits s’échauffèrent alors et Kaya commença à oublier de se concentrer sur ses annonces pour ne plus penser qu’à découper ses vis-à-vis. Il accepta de sortir pour ne pas gâcher la fête par un excès de vigueur. Combien de temps allions-nous tenir ce temps faible ? Manu régla le problème en trichant un peu sur le chronomètre et signala la fin du match à 21h55, n’attendant pas l’extinction des feux.
2-1 Score final.
L’apéro au Club house permit de remettre à Jérôme le Fez, l’applaudimètre ne laissant aucune ambigüité quant l’unanimité du vote. Côté Versailles Corbert leur n°10 reçu le « Talent d’or » et leur centre, Stephane reçut « la nenette », équivalent de notre Fez, lui aussi pour l’ensemble de ses en-avants. Hélas Les Vieux Crampons n’avaient pas cette fois-ci les déguisements rituels qui accompagnent ces prix. C’est alors que Tata Christiane s’énerva contre Thibaut : « Toi oublier anniversaire Dulcolax ! Tu vas chier du Won Ton si toi rien faire ! Cadeau pour lui tu as ? » Thibaut impressionné par la pétulante marâtre se lança avec crainte dans un « Joyeux anniversaire » et en guise de cadeau, récupéra in extrémis un vieux wallabi desséché ciglé VDQS pour lui offrir. Emu, l’ailier qui pour son anniversaire découvrit qu’on peut jouer un match entier sans jamais toucher un ballon, reçu le présent avec émotion devant tous ses proches impressionnés.
Les agapes furent sympathiques mais de l’avis de Tata Christiane, ça manquait de chants traditionnels. « Moi aurais dû venir avec petit client français du Royal Bordel de Pingyiao, lui connaitre beaucoup chansons ! » Tic sursauta : « Vous connaitre Tac ? » . La vieille chinoise confirma « Oui et aussi un ami à lui : PYM ! Les deux beaucoup s’amuser dans mon établissement » …Une émotion intense serra alors la gorge des VDQS…comme Miguel. Le souvenir des choristes, nos petits chanteurs à la gueule de bois, imposa un silence pesant interrompu finalement par Ronan : « Quelqu’un connait une équipe de vétéran en chine ? Le Club House de Tata Christiane à l’air sympa ! ».