La liberté, le nouveau monde était au bout du chemin ce soir de mars printanier. J’avais réussi à échapper à la vigilance de mes geôliers et à un repas familial olfactivement approximatif. Des semaines que j’attendais l’opportunité de m’évader. Je marchais protégé par la noirceur de la nuit, aux côtés de mon passeur, un certain Olivier Boutantin, affréteur de navire rouillés de son état. Premier danger, premières sueurs froides, nous arrivâmes au poste frontière. Profitant d’un moment d’inattention du gardien, nous nous faufilâmes à l’intérieur du no man’s land : « merci Candy Crush ! » . De longues étendues herbacées, un talus à escalader, une grille déverrouillée, une autoroute à traverser et au bout …le bonheur. Enfin c’est ce qu’on croyait alors, quand soudain, du haut de la colline la peur et l’effroi nous envahirent. Planté au milieu d’une clairière, au bord du fleuve, un camp de réfugiés sans dossard, entouré de grillages de sept mètres de haut, éclairé par des miradors et surveillé par une cohorte de surveillants gueulards. Juste à côté, un stalag vert semblait abriter les couchages. Nous n’eûmes pas le temps de rebrousser chemin que nous fûmes interpellés par une patrouille, mon passeur et moi, et aussitôt incarcérés.

« Bienvenus à Labrador » nous lança aussitôt le maître des lieux. Chapeau à la « M le maudit », parka en cuir et lunettes polonaises, le Dr. Dupraz dirigeait cet endroit d’une main de fer. Il était connu pour ses expériences sur les chiens. Depuis peu, il tentait en effet un croisement entre un Labrador, son animal fétiche, et un berger Australien emprunté à son fils. En vain. Alors pour se défouler, il organisait des matchs de rugby au sein de son camp, une version humaine du combat de pitbull.

La prise de cette semaine avait été bonne. Les gardes-frontière avaient interpellé une vingtaine de migrants du Val d’Oise. Ces derniers avaient une forte réputation, des durs à cuire, des fortes têtes. Ceux qu’on surnommait «  les vieux loups » étaient suspectés d’avoir neutralisé l’A15 en volant tous les câbles électriques : après le pont de Gennevilliers, seul passage entre les deux pays, c’était le chaos, les ténèbres. Aussi, pour échapper à la misère, ils avaient traversé la Seine à la nage pour rejoindre le Bourgeland.

Face à eux, les plus anciens pensionnaires du camp. Les VDQS, Vrais Délinquant du Quartier de Sécurité : des voyous en somme ! Si les « Vieux loups » cherchaient une terre d’asile confortable, la plupart des VDQS avaient été interpelés alors qu’ils tentaient de gagner l’autre continent : le Top 14. Un certain Blanche Neige avait ainsi pris une carte de séjour en Bois-Colombie, se parant de tous les artifices vestimentaires blanc-bleu-ciel pour preuve de son intégration. Un Autre, Lavergne, avait fait de même à Brive, passant des tests ADN pour prouver son origine. Cazamayor pour sa part espérait un mariage blanc à La Rochelle et multipliait les initiatives pédagogiques auprès des enfants afin de per-oche leurs mères. Tous refoulés, ils étaient là, barbarians rueillois, prêts à passer leurs nerfs sur les nouveaux arrivants.

Ces jeux du cirque avaient pour mérite, semble-t-il, de calmer les tensions au sein du camp. Mais plus qu’un combat salvateur, ce match était l’occasion d’expériences scientifiques de haut vol. Le professeur Solana de l’université de Fordescort menait une étude sur les troubles cognitifs en anaérobie lactique durant le sommeil, traduisez le nombre d’en avant quand on est essoufflé, plein de crampes et qu’on veut aller se pieuter. Il a pris des notes tout le long du match, il a été comblé .

L’autre éminent scientifique, Le Professeur Sixiou de l’institut bio-cellulaire de New Dehli avait fait le déplacement afin d’observer un de ses patients « Marou », descendu récemment des sommets de l’Himalaya.

L’expérience fut organisée en trois périodes de vingt minutes, le sergent-chef Al Manach arbitrant le premier et le dernier tiers temps, le Cardinal du Plessis se chargeant du second.

                La première période était assez fastidieuse, les fautes se multipliaient, les forces s’équilibraient, la triche au sol même pas efficace. Bref une heure qu’on était prisonnier et on s’ennuyait déjà. On aurait dit des candidats à un jeu d’aventure de TF1 qui refusent de monter dans l’hélico ! Rien de spectaculaire ! Résultat, Les Vieux loups ouvrent le score. Le leader des VDQS (qui veut rester anonyme) était fou de rage à la pause ; il hurlait, insultait, invectivait…On aurait dit Mélenchon fermant son livret A à la Société Générale. Torpeur. Face de telles difficultés, Le professeur Solana suggéra de changer de demi de mêlée. Heureux hasard, Zizou fut soudainement pris de convulsions  musculaires suite à une béquille à la cuisse. Le professeur Sixiou se frotta les mains, il allait enfin pouvoir observer son patient, Marou, publier son article dans psychologie magazine et obtenir enfin le prix Pulitzer.

                Le deuxième tiers temps permit aux VDQS non pas de briller mais pour le moins de coaguler les efforts autour du pack, lequel finit par marquer en force un essai collectif. Ceci étant, tout ne marchait toujours pas très bien. Aux vus des éminents analystes, observateurs envoyés par l’ONU, Organisation Nettoyeuse d’Urètre, la charnière dévissait dans tous les sens. Marou faisait de mauvais choix et Le Leader anonyme, sans doute trop énervé, merdait toutes ses passes. Une explication ? Oui ! D’après le Professeur Sixiou : «  Il a fait n’importe quoi Marou, il a choppé trop de globules rouges dans les montagnes, il part dans tous les sens,  il est hystérique !!!! » ! Sûr, l’article de psychologie magazine va être super, il va avoir le prix …Paul Loup Sulitzer !

1-1 à la pause.

Est-ce les remontrances du grand scientifique ou un séjour trop long en monastère tibétain, une douleur soudaine surpris le poignet de Marou. Plus de numéro Neuf. En désespoir de cause, Saigneur se proposa, idéal du gazon étant sapé comme s’il revenait de l’enterrement de Versace, on ne pouvait faire autrement. Après quelques minutes le Leader Anonyme vint demander au professeur Solana s’il n’y avait pas d’autres solutions, lequel répondit : « ils sont tous cassés, je n’ai que des neufs d’occasion ! ». Et curieusement cette troisième période fut admirable et vivante ! Comme quoi lorsqu’on doit être inventif  on est plus efficace et plus solidaire. Le leader Anonyme marqua le premier essai.

Le Cardinal Du Plessis ayant passablement agacé « les vieux loups », le Sergent-Chef Al Manach arbitrait cette dernière phase. Il eut maille à partir avec un VDQS, plusieurs fois évadé et plusieurs fois repris. Une Légende de la première ligne : Bouc ! Dans le calendrier Chinois, 2015 est l’année de la chèvre, mais ce soir-là c’était la nuit du Bouc et il brilla dans mille actions. Toutefois, celui qu’on appelait le “Léon“ du nettoyage, avait du mal à verbaliser ses angoisses et depuis son plus jeune âge s’exprimait avec des gestes, comme la famille Bélier ! Bref, suite à un différend diplomatique persistant,  il dû sortir du terrain laissant sa place à Papykachu qui lui confia de quoi se couvrir. Tête basse, déçu par cette injustice, il quitta le terrain, habillé du survêt jaune et vert de Viry-Châtillon (un colis de la croix rouge sans doute) et un sac Leclerc pour tout bagage. Triste image !

Parmi les captifs VDQS, un artiste peintre : Picasso. Ce plasticien adepte de l’art abstrait et des explications absconses, s’était volontairement constitué prisonnier le jour où il avait appris qu’un certain “Blanc“ y officiait et développait une nouvelle conception du cubisme. Période « Rose », « Rouge », « Blanc », c’est lors d’un repas qu’il comprit finalement sa méprise.  Toujours heureux de vivre, ce soir-ci il marqua le troisième essai.

Le quatrième essai vint de Pierre Grenard, un jeune pas très résistant mais qui a su collaborer au bon moment.

La conclusion en beauté de ce match ne pouvait se faire sans l’intervention toujours en finesse d’un bucheron serbo-croate, sorte de John Rambo capturé dans Saint Cucufa, j’ai nommé Hulk !

5-1 Score Final.

 Les miradors furent éteints. Les Prisonniers reconduits aux baraquements pour souper. Dans le réfectoire central, le Dr. Dupraz regardait Oyonnax-Toulouse sur un écran, rouges contre blancs. Soutien indéfectible à l’équipe de sa région Rhône Alpes, durant dix minutes il se réjouissait de l’efficacité des nouvelles recrues d’Oyonnax : Picamoles, Nyanga…avant de s’apercevoir que les blancs c’était Toulouse.

Je ne sais ce qui s’est passé après. D’autres vous le raconteront. Pour ma part, de grosses douleurs cérébrales amplifiées par des inflammations cervicales m’obligèrent à me retirer par le premier convoi sanitaire. C’est seulement au bout de 15 jours que j’ai pu de nouveau me planter devant mon ordi. Le match est déjà loin et ma mémoire courte. J’espère ne pas avoir trop travestit le récit de cette nuit épique !